William Porret – Directeur associé de Enora Consulting 

Mettre en place un projet(1) transverse est une opération complexe qui chamboule la vie de l’entreprise. Cela peut même devenir un véritable casse-tête lorsque des conflits d’intérêt surviennent. Comment déceler ces situations à risque ? Comment les gérer et comment en sortir ? 

A l’origine des conflits d’intérêt, des divergences de point de vue… 
Parce que la mise en place d’un projet transverse nécessite l’implication de plusieurs départements, filiales ou directions de l’entreprise et par conséquent de multiples acteurs avec des objectifs métier et des priorités radicalement différents, les conflits d’intérêt sont nombreux. Qu’ils soient intériorisés ou exprimés, ils retardent souvent – empêchent parfois – la réalisation du projet, chacun cherchant à préserver  » la partie  » dont il a la charge. Parce que le projet n’a pas le même impact sur les différentes équipes, celles-ci ressentiront des sentiments de jalousie :  » Le projet apporte beaucoup aux autres et rien pour nous « , ou de peur face au changement :  » Je dois revoir toute mon organisation et je devrai supporter une charge de travail plus importante qu’aujourd’hui !  » 
Mieux vaut donc tout mettre en œuvre pour anticiper et tenter d’éviter les dissensions ! 

Règle N°1 : définir intelligemment l’ownership, chargé de promouvoir le projet, et trouver le bon sponsorship 
La question de l’ownership ne se pose (presque) pas lorsqu’il s’agit de mener à bien un projet stratégique car celui-ci sera porté par la direction générale. En revanche, pour des projets importants mais non portés par la direction générale, l’ownership doit être choisi avec soin et sa mission définie de façon intelligente. Ainsi, si un projet concerne à la fois la direction informatique et une direction métier, il sera préférable de confier le projet à la direction métier. 

  • Exemple : l’entreprise décide de réviser le mode de calcul des marges des commerciaux et cela impacte le système de saisie des ventes. Le projet sera de préférence confié à la direction commerciale de l’entreprise plutôt qu’à la direction informatique. Quant au sponsorship, son rôle est de veiller à ce que les acteurs importants du projet soient entièrement acquis à sa cause et deviennent de véritables relais de communication, voire de lobbying interne. Le rôle du sponsorship devient crucial lors des phases d’accompagnement du changement.
  • Exemple : le projet de mise en place d’un annuaire d’entreprise peut être porté par la direction Informatique, mais sans le sponsorship de la DRH, le projet peut ne jamais voir le jour !

Règle N°2 : définir le(s) objectif(s) majeur(s) du projet et le(s) décliner en objectifs par équipe 
C’est alors la somme des objectifs atteints par équipe qui permettra d’atteindre le(s) objectif(s) majeur(s) portés par la direction générale de l’entreprise ou du groupe. L’objectif majeur peut être la mise en place d’un outil informatique commun ; l’objectif d’équipe consistera à modifier la façon de traiter les informations. 
Afin de motiver le personnel, il faut, chaque fois que cela est possible, déterminer les apports liés à la réalisation des objectifs. C’est pourquoi il est particulièrement important, dès le lancement du projet, de faire accepter par tous l’objectif majeur et les contraintes ou impératifs qu’il pourrait faire peser sur telle ou telle équipe. 

Règle N°3 : obtenir l’adhésion du plus grand nombre… 
En créant des structures projets : un comité de pilotage chargé de prendre les décisions, d’arbitrer les choix ou les conflits ; ce dernier avance en binôme avec un comité de projet. Davantage orienté sur l’aspect opérationnel, il soumet des orientations au comité de pilotage, l’informe des contraintes rencontrées sur le terrain, définit les priorités et les plannings de chaque équipe. 

Règle N°4 : organiser une forte campagne de communication 
Le comité de pilotage et le comité de projet sont soutenus dans leurs missions par le développement d’actions de communication visibles, telles que l’identification du projet par un nom de code ou encore la création d’un logo dédié. Afin d’entretenir un lien permanent entre le projet et les équipes, l’entreprise doit communiquer au maximum autour du projet – avant, pendant et après – pour expliquer à chacun quels sont ses tenants et ses aboutissants. Ces messages ont également le mérite de soutenir les directives que les managers d’équipes doivent faire appliquer. 

Règle N°5 : confier la conduite du projet à un chef de projet neutre 
Idéalement, le chef de projet est totalement indépendant par rapport aux objectifs à atteindre et il possède de solides compétences relatives au projet à mener. La direction de l’entreprise doit être en mesure de lui léguer un rôle fort car il est la pièce maîtresse de la mission, l’interface entre tous les acteurs. Il sera parfois amené à faire de la médiation, ou au contraire à imposer les objectifs du projet face aux résistances. Quoi qu’il en soit, il devra à chaque étape rechercher le consensus et l’adhésion de tous : direction générale, directions opérationnelles, managers d’équipes… 
Lorsque les conflits sont déjà installés, comment les atténuer ? 
Un principe fort consiste à replacer l’intérêt général devant les intérêts individuels en rappelant autant de fois que nécessaire la finalité du projet. Si l’entreprise a décidé de mettre en place un tel changement, c’est parce qu’il est globalement positif pour tout le monde, qu’il va générer des économies et des gains de productivité pour l’entreprise. Et cela, même si certaines équipes vont connaître temporairement un surcroît d’activités ou des modifications significatives de leur mode de travail. 
Enfin, il est nécessaire de renforcer l’assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO) pour déterminer un consensus sur chaque conflit, lever les blocages au fur et à mesure, agir et réagir vite pour que la situation s’assainisse L’idée est d’avoir recours à une aide extérieure, vierge de toute pression politique sur le projet et tirant sa légitimité de cette fraîcheur. Apporter du sang neuf peut très largement redynamiser les équipes et la perte d’expertise peut être compensée par ce renouveau. 
Dans tous les cas, le facteur humain, le moins maîtrisable de tous, est très important dans un projet transverse. User de psychologie en plus du bon sens peut s’avérer déterminant. En témoigne l’explosion des prestations dites de coaching. 

(1) Un projet consiste en un ensemble d’évolutions qui s’inscrivent dans un budget et un planning définis. Ils impliquent des changements importants pour les salariés de l’entreprise, qui remettent en cause les processus et/ou outils utilisés jusqu’alors.